Hans Eduard Meier, En toutes lettres
Nourri dun vaste savoir-faire, cet ouvrage concis, de la main dun calligraphe, est resté une référence en la matière. Toujours dans les années 50, il entreprend la conception dun caractère qui combine la modernité des lettres sans sérif avec le squelette des alphabets de la Renaissance. Ce sera le Syntax, qui prendra forme lentement, mûrissant au fil des décennies. Au passage, les remaniements successifs du caractère suivront les mutations techniques de la seconde moitié du XXe siècle.
Hans Eduard Meier sest aussi consacré à la pratique du graphisme pour des domaines aussi différents que la culture ou lindustrie. Distribuant ses connaissances, il a aussi poursuivi une longue carrière dans lenseignement. Son uvre peut aujourdhui se lire comme un espace de sérénité, comme un îlot tranquille qui tourne opiniâtrement le dos aux exigences de productivité et de rentabilité imposées à la création contemporaine.
À lheure où les courants dominants affichent leur fascination pour les nouvelles technologies et versent à plein dans le système de la mode, il est parfois utile de sabstraire de cette course folle pour revisiter les pages discrètes de lhistoire contemporaine. Cest sans doute ainsi quil faut approcher luvre de Hans Eduard Meier. Loin des cascades dimages et de sons que voit déferler la société daujourdhui, sa carrière découvre une pensée inscrite sur le long terme, à travers une vie consacrée à lécriture, à la typographie et au dessin de caractère. Cet engagement personnel correspond à la nécessité dun cheminement intérieur et sattache à la volonté de donner forme à des convictions précises. Habité par une même passion de la lettre quAlbert Boton, Hans Eduard Meier a été actif tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. Il est toujours à luvre aujourdhui. Fait exceptionnel, cette génération aura connu une double révolution des techniques dimpression. Vers 1950, alors que le procédé découvert par Gutenberg est utilisé depuis déjà cinq siècles, la photocomposition sapprête à succéder au plomb. À peine quelques décennies plus tard, au milieu des années 80, lavènement du numérique sapprête à supplanter les autres techniques. Comme dans bien dautres champs dactivités, la pratique du dessin de caractère se trouve bouleversée par ces évolutions. Les lettres, longtemps dessinées puis exécutées une à une manuellement, peuvent désormais naître directement sur écran. Cest la méthode qua choisie Hans Eduard Meier : elle lui vaut un gain de temps considérable. Pour ceux qui nauront pas connu les antécédents du confort technologique, il est sans doute difficile de se représenter la capacité dadaptation et la réorganisation du travail quont exigées de telles mutations.
Un contexte exceptionnel
Hans Eduard Meier est né en 1922 à Horgen,
en Suisse, au bord du lac de Zurich. Étudiant à
lÉcole des Arts Appliqués de Zurich de 1943
à 1946, il bénéficie dune formation
à la pointe. Lécole est alors dirigée
par Johannes Itten, une figure importante du premier Bauhaus.
En ce début des années 40, lenseignement
de la lettre dans les écoles dart est encore très
récent. À lécole de Zurich, pionnière
sur ce terrain, les cours de calligraphie et de dessin de lettre
ont été instaurés dès 1916. Au Bauhaus,
cest vers 1923 que la typographie et le graphisme découvrent
des perspectives nouvelles. Autour des années 20, la
vivacité des avant-gardes bouscule ici et là les
pratiques du graphisme et de la typographie. Lidée
dune «nouvelle typographie» prend forme, adhérant
à lesprit du temps et aux dernières avancées
artistiques. Cette approche véritablement nouvelle se
confirmera dans les années 30, tant sur le terrain professionnel
que dans les écoles dart.
Dans les années 40, lécole de Zurich compte parmi ses étudiants Jean Widmer, Adrian Frutiger, Josef Müller-Brockmann, Emil Ruder, ou encore le peintre cinétiste Yaacov Agam. Hans Eduard Meier y suit les cours dAlfred Willimann et dErnst Keller. Tous deux font alors partie des personnalités marquantes du graphisme en Suisse où se cristallisent un ensemble de pratiques nouvelles, héritières des avant-gardes et promises à un avenir exceptionnel. Pour sêtre inscrit dans une scène artistique très riche, le contexte de formation de Hans Eduard Meier mérite dêtre décrit plus amplement. Au nord, en Allemagne, les avant-gardes disparaissent brutalement au milieu des années 30 avec la montée en puissance du national-socialisme. Les pays avoisinants Suisse, Italie, France et Pays-Bas saffirmeront comme dactifs foyers du graphisme. Cest dans ce contexte que la Suisse voit germer un âge dor. De nombreux pionniers sillustrent, nés aux alentours de 1900 ; dans la plupart des cas, graphisme et typographie ne représentent quune partie de leurs activités. Parmi les grandes figures du moment se distinguent outre Ernst Keller et Alfred Willimann Jan Tschichold, Max Bill, Herbert Matter, Otto Baumberger, Anton Stankowski, etc. Leur uvre est dailleurs parallèle à limportant développement de lArt Concret à Zurich autour des années 40 mouvement dabstraction géométrique rigoureux qui se construit autour de Max Bill, Camille Graeser, Richard Paul Lohse et Verena Loewensberg.
Lapprentissage et les débuts
dune carrière
Cest donc dans un contexte particulièrement
riche que Hans Eduard Meier effectue son apprentissage. Dabord
comme compositeur typographe de 1939 à 1943, puis comme
graphiste à lécole de Zurich jusquen
1946. Depuis son plus jeune âge, le dessin et la peinture
comptent parmi ses activités favorites. Enfant, il sétait
déjà fabriqué sa propre boîte de
peinture et son chevalet. Ses autres passions de jeunesse lui
avaient dabord fait miroiter un tout autre métier
: celui de «constructeur davion». Les circonstances
le mèneront à la typographie. Par le biais de
relations familiales, il fait lapprentissage du métier
de compositeur typographe. Lécole de Zurich consolidera
ensuite sa pratique du dessin, de la peinture, du graphisme,
et surtout de la calligraphie et du dessin de lettre
matières pour lesquelles il conçoit le plus grand
intérêt. Il voue une grande admiration à
son professeur Alfred Willimann, calligraphe hors pair à
qui il reconnaît rétrospectivement devoir toute
sa carrière.
En sortant de lécole, en 1946, il travaille dabord pour le magazine culturel zurichois Du. Puis, en 1948, il part pour Paris avec lobjectif de sinstaller comme graphiste indépendant. Mais le travail lui fait défaut, et ses visuels sont jugés «trop germaniques». Il profite alors de sa présence à Paris pour sinitier à la gravure à lÉcole Estienne et perfectionner sa pratique du dessin. Une opportunité inattendue soffre alors à lui. Alfred Willimann, son ancien professeur, lui propose denseigner lécriture à lécole de Zurich. Ravi de cette perspective, il repart en Suisse.
«Le développement de lécriture»
: un ouvrage de référence
Hans Eduard Meier commence à enseigner à lÉcole
des Arts Appliqués de Zurich en 1950. Il y donnera des
cours décriture dessin de lettre et calligraphie
pendant 36 années. Héritier de la polyvalence
des artistes avant-gardistes, il enseigne aussi la peinture,
le dessin et la perspective. Dès ses premières
années denseignement, il prépare à
lattention de ses étudiants des modèles
décritures historiques. Il leur fournit ainsi des
copies dexemples calligraphiés de sa main. Ces
pages décriture serviront de base à lélaboration
de son ouvrage «Le développement des caractères».
Lopuscule est édité à Zurich en 1959
: il retrace lévolution de lécriture
à travers quelque 70 exemples, depuis les inscriptions
lapidaires grecques antiques du Ve siècle av. J.-C. aux
caractères sans sérif contemporains. Louvrage
est édité en trois langues allemand, français
et anglais (cest souvent le cas en Suisse, où les
langues se superposent). Aujourdhui, après plus
de dix rééditions, le livre est toujours disponible
et reste une référence en la matière ;
quelque 25 000 exemplaires en ont été vendus.
«Le développement des caractères»
parcourt donc lhistoire des principales écritures
manuscrites, que viennent compléter une dizaine de caractères
typographiques importants. La lente évolution des formes
traverse ainsi 2 500 ans dhistoire, à travers les
inscriptions grecques et romaines davant notre ère,
les capitales dites quadrata et rustica, les écritures
cursives de la fin de lAntiquité, lonciale
et la semi-onciale, les écritures mérovingiennes
et wisigothiques du haut Moyen Âge, la caroline, les différentes
gothiques (dont la Textura, qui fut aussi le tout premier caractère
dimprimerie), lécriture humanistique, le
caractère romain, la cancellaresca, les caractères
néoclassiques, les écritures à la plume
du XVIIIe siècle, lÉgyptienne et les caractères
sans sérif.
Tous les exemples de calligraphie reproduits dans «Le développement des caractères» sont de la main de Hans Eduard Meier. Comme son premier objectif fut pédagogique, il na pas cherché la reproduction fidèle dexemples originaux fournis par lhistoire, mais «une mise en évidence de ce que ces modèles présentent dessentiel et de typique pour illustrer plus clairement le développement des formes décriture». Les lettres apparaissent dans des fragments de texte, et rarement selon lordre alphabétique. Concis et didactique, louvrage se détourne des aspects plaisants et décoratifs de la calligraphie pour retrouver lempreinte des principaux stades de lécriture grâce à des tracés aussi justes que possible. En cela, cest un document de référence pour qui veut sinitier à la calligraphie ou se perfectionner. La préface du livre explique dailleurs clairement que ces «reproductions de calligraphies originales pourront servir de modèles pour des exercices où laccent sera mis sur la beauté et sur la pureté des formes, et non sur des valeurs expressives ou émotives».
le Syntax : réunir le moderne et lancien
«Lattachement de Hans Eduard Meier pour les
beautés de lalphabet (
) a pris naissance
dans la calligraphie». Ce retour aux sources ne la
pas empêché de rechercher la contemporanéité
des formes. Sans doute même son intérêt pour
lévolution dune pratique bimillénaire
lui aura permis de projeter linscription dune forme
inédite dans lhistoire. Telle est peut-être
lambition du Syntax, son principal caractère. Et
aussi son premier. Hans Eduard Meier y a travaillé des
années durant, puis la complété et
affiné au fil des décennies. À lorigine
du projet, au mileu des années 50, il dessine un caractère
sans sérif basé sur les proportions des alphabets
de la Renaissance écritures humanistiques et caractères
romains (cf. Alde Manuce, Nicolas Jenson, Garamond, etc.). Cherchant
la trace dun geste séculaire, il fuit toute tentative
de géométrisation ou de construction normée
des lettres.
Cest ainsi quil envisage de créer un alphabet spécifique qui, à sa connaissance, nexiste pas encore. Il veut combiner la forme alphabétique la plus simple avec la structure des écritures apparues en Italie au début du Quattrocento lesquelles donneront naissance au caractère dimprimerie dit romain, vers 1470. Avec un tel projet, il retrouve les qualités dun caractère qui, au fil des siècles, sest avéré éminemment lisible : les caractères romains ont en effet dominé une grande part de la presse et de lédition depuis leur invention (en dehors des pays germaniques). Pour Hans Eduard Meier, il ne sagit pas dajouter sa propre création au répertoire existant des caractères sans sérif, dont il existe déjà des centaines de variantes ; il nest dailleurs pas un créateur éponyme. Il souhaite avant tout ajuster le caractère bâton sur des formes sensibles polies par des siècles dhistoire. Sans ambages, il déclare même son «aversion pour les écritures sans sérif trop construites ou trop techniques, comme lHelvetica, le Futura, ou le Gill». «Au début du XXe siècle, en un temps dominé par la technique, on croyait que pour quun caractère soit moderne, il fallait quil ait lair construit». Les alphabets des années 20 et 30 découvrent en effet une forte tendance à la géométrisation. Mais lesprit du temps le voulait ainsi, qui voyait les avant-gardistes chercher une synthèse des arts, aboutir à des formes élémentaires, exacerber la géométrie, et rendre visible la construction.
Si, au milieu des années 50, Hans Eduard Meier peut juger insatisfaisants ces caractères à tendance géométrique, cest sans doute parce que dautres avant lui (en fait assez peu de temps avant) ont accepté sans entraves la machine et le monde industriel jusqualors plutôt mal acceptés par les artistes. Un petit détour par lhistoire rappelle néanmoins que, pour les caractères, la question de la part du dessin et de la construction est sujette à polémique depuis bien longtemps. Tracé manuel et structure normée se sont affrontés depuis plusieurs siècles (tout comme, en peinture, les débats autour du dessin et de la couleur). Ainsi, au XVIIIe siècle, le typographe Pierre-Simon Fournier sinsurge contre les premières constructions du caractère dit romain du roi caractère ébauché en 1692 pour lImprimerie Royale, à la demande de Louis XIV. Fournier semporta ainsi : «comment a-t-on pu rétrécir lesprit et éteindre le goût, en donnant ainsi des entraves au génie par des règles si confuses et si hasardées ? Faut-il donc tant de carrés pour former un O, qui est rond, et tant de ronds pour former dautres lettres qui sont carrées ? ( ) Le génie ne connoît ni règles ni compas, si ce nest pour des parties géométriques». Dans lavant-projet du romain du roi, les lettres dépendaient en effet dune grille divisée en 2 304 petits carrés
[social]Loin dune telle logique de construction, Hans Eduard Meier cherche le dessin et la forme naturelle issue du mouvement de la main. Son projet consiste à introduire une part dhistoire dans un caractère quil veut néanmoins résolument contemporain. Il sagit de donner à un alphabet de notre temps un peu de lhumanisme propre à lécriture renaissante, en combinant la structure dune lettre aujourdhui «vieille» de 600 ans avec la forme moderne la plus simple de lécriture latine. La valeur du Syntax sapprécie donc au regard de lhistoire. Issu de connaissances précises et dun savoir-faire pointu, le caractère demande à être observé de près. Ses formes les plus caractéristiques se retrouvent dans les lettres a b g k n et x. Aux caractères de la Renaissance, Hans Eduard Meier emprunte ainsi la spécificité des formes par exemple le dessin du n, dont lattaque de la courbe est peu arrondie, ou les proportions des jambages inférieurs. Son alphabet combine dans un même dessin une structure synthétique avec un modèle de lisibilité et délégance. Le Syntax reflète lharmonie dune écriture assimilée à un canon esthétique. De fait, il procure un grand confort de lecture, bousculant une idée assez répandue qui affirme la moindre lisibilité du caractère bâton.
Les premières esquisses du Syntax remontent à 1955. Elles montrent un caractère qui se cherche, et qui na pas encore lassise ni la fluidité de sa forme finale (par exemple, le départ des courbes est encore très plat). Sans doute est-ce là la preuve de la complexité du projet. Ces premiers dessins sont tracés à main levée, sans règle ni équerre. Involontairement, Hans Eduard Meier a donné une légère inclinaison aux verticales à peu près un degré. Lalphabet, qui conservera cette caractéristique, y gagne en dynamique. En 1968, au terme de plusieurs années de recherche, la première version disponible du Syntax se décline en trois variantes romain, italique et demi-gras (pour la composition en plomb). Il faudra encore plusieurs années pour perfectionner ces formes et leur ajouter deux nouvelles variantes, le gras et lextra-gras.
Au début, le caractère sest peu vendu. Daprès Hans Eduard Meier, le Syntax est arrivé trop tôt sur le marché et a subi la redoutable concurrence de lHelvetica et de lUnivers, conçus quelques années plus tôt (1957). Disponible en plomb, le Syntax ne faisait alors pas laffaire des imprimeurs, qui évoluaient déjà vers la photocomposition. Aujourdhui, après sêtre adapté au plomb puis à la photocomposition, le Syntax existe sous forme numérique et se décline en une vingtaine de variantes. Pour cette dernière version, les lettres ont à nouveau été remodelées. Jugeant insatisfaisantes les formes dorigine du Syntax, Hans Eduard Meier a de nouveau effectué quelques micro-corrections pour les parfaire.
Il a ainsi consacré des années à la conception de ce caractère. Expliquant qu«on ne peut pas vivre du dessin de caractère, on peut simplement le pratiquer comme un passe-temps», il a agi avant tout par conviction personnelle. Le Syntax, dont il considère aujourdhui que la version numérique constitue une forme achevée, représente peut-être luvre majeure de sa carrière. Un tel caractère rappelle que la typographie est dabord faite pour être lue (en termes quantitatifs, lusage des caractères de texte prévaut), et que lévolution de lécriture, dans sa dimension historique, tient à des modifications discrètes. La grande force de ce caractère est sans doute de porter un véritable projet, complexe et ambitieux, conduit à son terme. Ici, pas de poudre aux yeux, mais la maturation modeste dune belle idée. Face à la profusion actuelle des alphabets, dont beaucoup proclament une fuite des savoir-faire (tout à fait légitime au regard de la culture et des pratiques artistiques actuelles), le travail de Hans Eduard Meier semble appartenir à un autre temps. Paradoxalement, il y a pourtant fort à parier que le Syntax restera dans lhistoire
Dautres projets
Tout récemment, le Syntax sest enrichi dune
variante avec sérif, conçue directement sur écran
à partir de la version sans empattement. Face à
limposant projet du Syntax et à son articulation
avec lécriture, luvre de Hans Eduard
Meier découvre dautres caractères, comme
le Barbedor, le Letter, le Lapidar ou le Syndor. Le Syntax et
le Barbedor sont les seuls alphabets pour lesquels il a dabord
fait des esquisses sur papier. Comme le Syntax, le caractère
Lapidar part dun modèle historique : lécriture
lapidaire romaine antique (comme lindique son nom), dans
sa variante sans sérif. Lalphabet garde néanmoins
une grande liberté, et certaines lettres sont réinventées
ou interprétées à partir dautres
modèles comme le e, le a ou le g.
En tant que graphiste et dessinateur de caractères, Hans Eduard Meier a aussi été amené à travailler pour lindustrie et pour la culture. Il a, par exemple, conçu des identités visuelles et des alphabets spécifiques dentreprises. Il a également créé des affiches pour diverses manifestations culturelles à Zurich expositions, concerts, etc. Dans un tout autre registre, il a aussi dessiné des lettrages pour des pierres tombales. Sans compter dinnombrables calligraphies réalisées pour le plaisir, à partir de poèmes, notamment ceux de Christian Morgenstern. Il a encore donné des conférences et organisé des ateliers de calligraphie en Europe et aux États-Unis.
En 1984, pour rester en phase avec les nouvelles technologies, Hans Eduard Meier sinitie à loutil informatique. Cest dailleurs devenu son unique instrument de travail pour la création de caractères. Il ne conçoit plus desquisses sur papier et ne possède dailleurs pas de scanner. Son goût pour la nature et le naturel est resté inchangé : au-delà de lécran, perché dans un petit village en altitude, il savoure une vue splendide sur un massif de montagnes surplombant le lac de Walen.
Ces dernières années, il a travaillé sur divers projets. En 1995, il a par exemple été chargé de mettre au point le nouveau caractère destiné aux billets de banque suisses. Pour cette commande, il a dû remodeler la version condensée de lHelvetica : il a redessiné certaines lettres dont les formes ne le satisfaisaient pas, a ajusté la graisse au graphisme des billets, et a légèrement diminué la chasse du caractère pour pouvoir les espacer (les caractères des billets antérieurs étant selon lui trop peu interlettrés). Il sattelle aujourdhui à de nouveaux projets, dont un modèle dalphabet destiné à lapprentissage de la lecture et de lécriture. Lidée étant de créer un répertoire de formes simples, que les enfants pourront aisément déchiffrer et recopier. Également sensible à la fantaisie et curieux de formes insolites, il sessaye à la conception dune version très décorative du Syntax.
Une question de temps
Luvre de Hans Eduard Meier échappe donc
aux impératifs de la société daujourdhui.
Sans limite de temps, il a peaufiné et complété
le vaste projet du Syntax. Sans aucun but lucratif, mais plutôt
pour le plaisir, comme une contribution volontaire à
la typographie, ou plutôt à lécriture.
Son exemple impose le langage de lhumilité et parie
sur la durée. Seul le temps saura confirmer lampleur
de son projet, à contresens de toute emphase visuelle.
Cest dailleurs là un trait unique de notre
époque que de faire coexister de tels savoir-faire avec
un champ de créations en constant renouvellement. Pour
sa part, Hans Eduard Meier émet les plus grandes réserves
sur louverture revendiquée par les pratiques actuelles,
et «trouve absurde la typographie qui se fait en employant
toutes les possibilités de lordinateur».
Le grand mérite du Syntax est sans doute davoir cherché à «humaniser» une forme basique issue de la modernité. Avec ce projet, Hans Eduard Meier soulève nombre de questions essentielles, notamment celle de la part de lhistoire dans laquelle la création artistique contemporaine puise souvent sans discernement. Échappant à la course de vitesse de notre société, il pose par anticipation son regard sur lhistoire contemporaine. Au-delà dun savoir-faire de praticien, sa démarche suggère presque une philosophie de la vie. Elle rappelle léloge de «la lenteur», prononcé par lécrivain Milan Kundera : « la vitesse est la forme dextase dont la révolution technique a fait cadeau à lhomme. ( ) Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ?